vendredi 2 mars 2018

Vague de froid tardive en Europe associée à un puissant champ de pression

À quatre jours de la fin de l’hiver météorologique, une puissante masse d’air anticyclonique s’est constituée sur le nord de l’Europe et s’est étendue progressivement plus au sud, tout en dirigeant de l’air glacial en provenance de Russie sur la majeure partie du continent européen. Sur la 2e quinzaine de février 2018, l’anomalie thermique négative varie de -6°C à -16°C des côtes atlantiques de l’Europe à la Russie.


Cartes synoptiques de surface en Europe du 25 février au 1er mars 2018.
(Source : DWD)
La pression atmosphérique a atteint des valeurs rarement observées en Europe au mois de février. Plusieurs stations dans le comté norvégien de Finnmark (extrême nord du pays) ont enregistré un record absolu de haute pression dès les premiers jours : Sihccajavri avec 1055,6 hPa le 25 février (à 1h AM), Kautokeino avec 1055,1 hPa le 25 (1h), Hammerfest avec 1051,5 hPa le 27 (1h), Fruholmen Fyr avec 1051,0 hPa le 27 (0h), Honningsvag/Valan avec 1051,0 hPa le 27 (23h), Slettnes Fyr avec 1050,7 hPa le 27 (0h-1h), ou encore Mehamn avec 1050,7 hPa le 27 (0h).
La pression a atteint 1060,4 hPa à Røros le 28 février (à 7h) et 1061,0 hPa* le même jour (à 8h) à Tynset dans le comté norvégien de Hedmark (sud-est du pays) [* valeur horaire], soit la plus haute pression pour un mois de février à l’échelle nationale, égalant ainsi la 2e plus haute pression jamais enregistrée dans le pays depuis le début des mesures (1061,0 hPa le 23 janvier 1907 à Mandal dans le comté de Vest-Agder) et tout près du record national tous mois confondus (1061,3 hPa le 23 janvier 1907 à Dalen dans le comté de Telemark).

Courbe de la pression atmosphérique (réduite au niveau de la mer) à Tynset (Norvège) du 25 au 28 février 2018.
(Source : capture d’écran réalisée à partir du site Infoclimat)
À l’échelle de l’Europe, le record mensuel serait détenu par la station russe de Hoseda-Hard avec 1067,2 hPa le 01/02/2012 (0h-3h UTC) [qui détiendrait aussi le record absolu en Europe avec 1068,3 hPa le 31/01/2012 (6h UTC)], loin devant les 1063,9 hPa observés à Arkhangelsk (Russie) le 17/02/1956 et les 1062,8 hPa à Kuhmo Kalliojoki (Finlande) le 01/02/2012.
Par ailleurs, on estime que la pression a dépassé 1060 hPa en Europe seulement à 15 reprises entre 1869 et 2018 (tous mois confondus) : en 1869, 1893, 1899, 1907, 1915, 1920, 1938, 1944, 1946, 1956, 1972, 1995, 2008, 2012 et 2018. [Cf. Les plus hautes pressions atmosphériques enregistrées en Europe et dans le monde.]
Rappelons que l’événement le plus remarquable en Europe date de janvier 1907 (jusqu’à 1067,1 hPa le 22/01/1907 à Pärnu en Estonie et le 23/01/1907 à Riga en Lettonie), au cours duquel plusieurs pays d’Europe ont enregistré leur record national de haute pression (Danemark, Norvège, Suède, Estonie, Lituanie, Lettonie, Allemagne, Pologne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Roumanie).

Si d’intenses vagues de froid ne sont pas exceptionnelles au cœur de l’hiver en France et en Europe — les plus sévères se produisant généralement entre fin décembre et mi-février —, la survenue d’un tel événement est bien plus remarquable plus tard dans la saison (fin février-début mars), car le rallongement de la durée du jour avec un soleil plus haut sur l’horizon à l’approche du printemps limite le refroidissement diurne. Pour mémoire, les vagues de froid tardives les plus notables en France se sont produites fin février-début mars 2005, début mars 1971 et fin février 1948, sans oublier les mois de février 1956 et 1986 au cours desquels les températures minimales et maximales sont restées très basses jusqu’en fin de mois sur des sols souvent enneigés.

Au cours de cette vague de froid qui marque la fin de l’hiver 2017-2018, la température a chuté dans le nord de l’Europe jusqu’à -42,0°C le 28 février et -41,8°C le 1er mars à Folldal-Fredheim en Norvège (la valeur relevée à la station établissant un record mensuel de froid pour le comté de Hedmark) ; plus d’une vingtaine d’autres stations norvégiennes ont enregistré ce jour-là un record de froid pour un mois de mars. Citons quelques exemples : -39,7°C à Tynset (pulvérisant le précédent record mensuel à la station de -36,0°C en mars 2005), -35,7°C à Dagali Airport (-34,2°C en mars 2006), -29,5°C à Fagernes (-27,0°C en mars 1987), -23,5°C à Lillehammer-Sætherengen (-22,0°C en mars 1987), -18,1°C à Tryvannshøgda dans le nord de la commune d’Oslo (-17,0°C en mars 1971), ou encore -12,7°C à Bergen-Flesland (précédent record : -12,6°C le 02/03/2001).
Dans le reste de l’Europe, des records de froid pour un mois de février ou pour un mois de mars ont été enregistrés dans quelques stations. C’est le cas par exemple en France où la station de Torreilles (Pyrénées-Orientales) a établi un nouveau record mensuel de froid avec -8,1°C le 27 février (contre -8,0°C le 15/02/2010 ; record absolu : -9,0°C le 16/01/1985), ou encore la station de Landivisiau (Finistère) ouverte en 1966 qui a battu son record pour un mois de février avec -6,9°C le 28 février (contre -6,3 °C le 09/02/1991), soit une température plus basse qu’au cours de la vague de froid intervenue en mars 1971 (-5,7°C).
C’est le cas aussi par exemple en Italie où des records mensuels de froid ont été battus à Frosinone (-10,2°C le 27 février), à Monte Argentario (-7,8°C le 27 février, contre -6,2°C le 07/02/2012), ou encore à Capo Mele qui égale avec -3,0°C le 28 février son précédent record mensuel enregistré les 11/02/2012 et 10/02/1986, mais qui établit un nouveau record de froid pour un mois de mars avec -3,4°C le 1er mars.
Par ailleurs, les températures ont été particulièrement basses en montagne, en particulier sur le versant nord des Alpes : on a relevé jusqu’à -36,0°C le 26 février à la Capanna Regina Margherita (4560 m, Italie), -36,6°C le 27 au Col Major (4750 m, Italie), -37,7°C le 27 au Glattalp (1850 m, Suisse), -41,0°C le 28 au Funtensee (1601 m, Allemagne), -44,1°C le 26 à Dolina Campoluzzo (1768 m, Italie) et -48,7°C le 27 à la doline Busa Riviera (2634 m, Italie, Vénétie) [soit la 2e plus basse température jamais enregistrée en Italie, derrière le record absolu de -49,6°C enregistré le 10/02/2013 à la doline de Busa di Fradusta (2607 m)].

En France, la journée du 27 février a été la plus froide, davantage encore que lors de la vague de froid tardive de 2005 : selon Météo France, avec un écart à la moyenne quotidienne nationale (1981-2010) de -3,2°C, il faut remonter à début mars 1971 pour trouver une journée plus froide après un 25 février. Au petit matin du 28 février, des fortes gelées (≤ -5°C) ont été observées sur près de 80% du territoire, y compris dans les régions côtières.
En Allemagne, plusieurs stations ont enregistré le 28 février un record de froid pour la 3e décade du mois et près de 400 stations ont enregistré leur température maximale la plus basse pour un 28 février depuis le début des mesures (comme la station de Brême qui dispose de données depuis 1890). [Remerciements au climatologue Michael Theusner pour ces informations ; d’autres données plus détaillées sont disponibles sur le site Wettergefahren-Frühwarnung et la page dédiée aux records mensuels et décadaires].

© XMETMAN
Les journées des 28 février et 1er mars ont également été très froides en Angleterre : avec une température moyenne respectivement de -3,6°C et -3,3°C, le centre de l’Angleterre a connu le 28 février et le 1er mars les plus froids depuis 1785 (contre -3,8°C le 28/02/1785 et -3,5°C le 01/03/1785).
La température moyenne du 23 février au 1er mars 2018 atteint -0,49°C dans le centre de l’Angleterre, ce qui la place au 6e rang des plus froides sur la même période depuis 1772, loin derrière toutefois les -2,56°C enregistrés sur la période du 23 février au 1er mars 1947.
[Retrouvez tous les détails de cette analyse sur l’excellent site XMETMAN et les articles concernant les 28 février et 1er mars 2018.]




Le champ de hautes pressions qui recouvre l’Europe depuis plusieurs jours est remarquable et particulièrement vaste, au point de bloquer la circulation d’ouest au-dessus de l’Atlantique. Le flux d’est en provenance de l’Europe et issu de cette puissante masse d’air anticyclonique atteint quasiment les côtes nord-américaines en ce début de mois de mars, obligeant les masses d’air en provenance du Canada et des États-Unis à adopter une trajectoire bien plus méridionale au-dessus de l’océan et à alimenter de manière plus rapide et directe la circulation d’alizé. Le flux perturbé est rejeté et maintenu sur les marges de cette puissante masse d’air anticyclonique qui s’étend désormais vers l’ouest, bien au-delà des côtes européennes.
Advecté jusqu’au cœur du bassin arctique au cours des premiers jours entre Groenland et Scandinavie (cf. article précédent), l’air doux et humide de l’Atlantique est désormais rejeté vers le nord entre Canada et Groenland ; il est cantonné également plus au sud et gagne le sud-ouest de l’Europe en occasionnant des chutes de neige au contact de l’air froid encore présent plus au nord et à l’est dans les basses couches. Les intempéries ont tout d’abord touché l’archipel des Açores avec des pressions particulièrement basses (jusqu’à 974 hPa le 28 février), puis l’archipel des Canaries avec de fortes rafales de vent (jusqu’à 166 km/h le 28 février à Vallehermoso [1475 m] et 130 km/h le 1er mars à l’aéroport de La Palma [Santa Cruz de Tenerife]) et des précipitations abondantes (jusqu’à 142,8 mm le 28 février à Vega de San Mateo [Las Palmas]). La neige a fait son apparition le 28 février sur la côte nord de l’Espagne jusqu’au niveau de la mer, notamment à Bilbao et Santander (une première depuis janvier 1985), mais aussi à Gijon (une première depuis janvier 1987). Les chutes de neige ont gagné aussi tout le sud de la France, de la plage de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) le 28 février à Grasse, Nice et Menton (Alpes-Maritimes) à partir du 27, en passant par le Languedoc-Roussillon où l’on a relevé jusqu’à 30 cm dans le nord de l’agglomération de Montpellier (Hérault) et près de 20 cm dans la cité héraultaise le 1er mars au matin. Notons aussi qu’il a neigé jusqu’à basse altitude sur la côte ouest de la péninsule italienne (à Rome et à Naples notamment, jusqu’à 15 cm aux abords des plages), ainsi qu’en Corse-du-Sud dans la nuit du 26 au 27 février : il a été mesuré jusqu’à 15 cm à Ajaccio, ce qui constitue la deuxième plus forte chute de neige à la station depuis les 25 cm du 10 février 1986. Selon Météo France, une petite couche au sol avait été observée en février 2012, mais la couche avait été plus significative à l’époque à Alistro (22 cm) ou au Cap Sagro (15 cm).
La perturbation neigeuse a poursuivi son chemin en direction du nord de la France en apportant une couche de quelques centimètres sur la plupart des régions (y compris en Bretagne), remplacée par endroits au fil des heures par des pluies ou des bruines verglaçantes. Après le passage de la perturbation, le redoux s’est rapidement mis en place, avec des températures maximales qui ont grimpé rapidement au sud de la Garonne dans l’après-midi du 1er mars (jusqu’à 19,6°C à la pointe de Socoa et 18,0°C à Biarritz).

La petite ville de Kildare (Irlande), située au sud-ouest
de Dublin, plongée dans une atmosphère fantomatique
le 2 mars 2018 lors du passage de la tempête Emma.
Formation d’importantes congères sous l’action du vent.
© Kildare Weather
Les chutes de neige ont également atteint les îles Britanniques dès le 1er mars, en particulier l’Irlande dont la moitié sud a été placée durant 2 jours consécutifs en alerte rouge aux fortes chutes de neige et au blizzard (forts vents d’est) : on a relevé jusqu’à 54 cm le 2 mars au matin dans le comté de Wicklow situé au sud de Dublin et l’observatoire de Valentia (dans le sud-ouest de l’Irlande) a enregistré les plus importantes chutes de neige depuis janvier 1987. La neige a recouvert la majeure partie du Royaume-Uni où les températures minimales et maximales sont restées négatives ou proches de 0°C quasiment partout le 1er mars.

Amsterdam, le 2 mars 2018.
© F. Bader
Aux Pays-Bas, les habitants d’Amsterdam se sont adonnés aux plaisirs du patin à glace sur les canaux de la ville totalement gelés sur plusieurs centimètres d’épaisseur, ce qui n’était pas arrivé depuis février 2012.

Plus au nord, la mer du Nord a gelé tout le long du littoral de la Frise, cette région historique du nord-ouest de l’Europe partagée entre les Pays-Bas (la Frise occidentale) et l’Allemagne (la Frise orientale) [cf. encadré rouge sur la 2e carte ci-dessous (à droite) présentant les surfaces enneigées (en blanc) et la glace de mer (en bleu clair) le 2 mars 2018]. L’usage de brise-glace a été nécessaire dans plusieurs ports maritimes totalement obstrués par une épaisse couche de glace, en particulier dans le port d’Emden en Frise orientale.


Étendue de la couverture neigeuse en Europe les 28 février et 2 mars 2018.
© Earth Observation Group at CBK PAN
La vague de froid a atteint aussi la Roumanie et les Balkans au début du mois de mars, accompagnée d’importantes chutes de neige dans le nord-ouest de la Bulgarie. La température est descendue jusqu’à -24,8°C le 1er mars à Târgu Logrești dans le sud-ouest de la Roumanie et -24,4°C le lendemain à Radauti dans le nord du pays, sans menacer toutefois le record mensuel national de froid (-31,4°C le 09/03/1952). En revanche, la station de Bucarest-Baneasa a vraisemblablement enregistré un record de froid pour un mois de mars avec -21,7°C le 1er (précédent record : -19,9°C le 02/03/2005). Plus au sud, des températures particulièrement basses ont été relevées en Serbie le 1er mars : jusqu’à -24,5°C à Sombor (87 m), qui enregistre à cette occasion un record mensuel de froid, tout comme Novi Sad avec -20,3°C (précédent record : -19,9°C le 04/03/1987).

Selon un bilan provisoire (au 4 mars), cette vague de froid tardive a fait au moins 59 morts en Europe : 23 en Pologne, 7 en Slovaquie, 6 en République tchèque, 5 en Lituanie, 4 en France, au moins 3 en Espagne, 2 en Italie, 2 en Roumanie, 2 en Serbie, 2 en Slovénie, 1 aux Pays-Bas, 1 en Angleterre et 1 en Suède.