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Station chinoise de Kunlun |
À la recherche du meilleur site d’observation astronomique dans le monde, une équipe de chercheurs australiens et américains avait été en mesure en 2009 de localiser l’endroit à la fois le plus froid, le plus sec et le plus calme de la planète (cf. un précédent
billet). À partir de modèles climatiques, de données satellitaires et de données issues de stations météorologiques, l’équipe scientifique avait retenu le site de Ridge A (4053 m d’altitude) sur le plateau antarctique, à proximité de la station polaire de Kunlun ; cette station a été construite en février 2009 par des glaciologues chinois (en collaboration avec des scientifiques australiens) à 4087 m d’altitude et à 7,3 km au sud-ouest du sommet du Dôme Argus (ou Dôme A, 4092,8 m), ce qui en fait désormais la station la plus élevée du continent antarctique.
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Station automatique du Dôme Argus |
Très récemment, des scientifiques américains du National Snow and Ice Data Center (NSIDC) ont révélé les résultats d’une campagne de mesures par satellite de la
température radiométrique de surface du continent antarctique ; cette étude vient confirmer la précédente et apporter de nouvelles précisions. Elle révèle en particulier des températures inférieures à -90°C mesurées à plusieurs reprises au cours des hivers austraux 1997, 2001, 2003, 2004, 2010 et 2013, par temps clair et en l’absence totale de vent, le long d’une ligne de crêtes dans la partie orientale de l’inlandsis antarctique, qui s’étend du Dôme Fuji (au nord) au Dôme Argus (au sud). Comme on peut le constater sur la carte ci-dessous (ou sur l’
animation proposée par la NASA), le satellite Landsat 8 a mesuré une température extrême de
-93,2°C (-135,8°F) le 10 août 2010 au nord-ouest du Dôme Argus, mais également une température légèrement inférieure de -93,0°C (-135,3°F) le 31 juillet 2013 à proximité immédiate de la station sino-australienne ou encore de -91,2°C le 3 août 2004 à proximité de la station américano-japonaise du Dôme Fuji.
Une étude plus récente, parue en 2018 dans la revue
Geophysical Research Letters, a montré plus finement que la température est descendue jusqu’à
-98°C à 30 reprises et en une centaine de points en Antarctique durant l’hiver austral entre 2004 et 2016. La température la plus basse jamais mesurée par satellite a été enregistrée à proximité du pôle Sud d’inaccessibilité (point du continent Antarctique le plus éloigné de toute côte) :
-98,6°C le 23 juillet 2004 !
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Figure extraite de l’article de T. A. Scambos, G. G. Campbell, A. Pope, T. Haran, A. Muto, M. Lazzara, C. H. Reijmer & M. R. van den Broeke, « Ultralow Surface Temperatures in East Antarctica From Satellite Thermal Infrared Mapping: The Coldest Places on Earth », paru dans Geophysical Research Letters, vol. 15, n° 12, juin 2018, https://doi.org/10.1029/2018GL078133. |
Déjà en décembre 2013, suite à un
communiqué de presse maladroitement rédigé par le NSIDC, il n’avait pas fallu longtemps aux journalistes du monde entier pour s’emparer de l’information et la rumeur d’un nouveau record de froid mondial s’était malheureusement très vite propagée. L’histoire s’est répétée récemment avec la parution de cette nouvelle étude… Par conséquent, il est utile de rappeler ici encore que les mesures de température par satellite ne sont pas comparables avec les observations
in situ, un rappel que j'avais déjà eu l’occasion de faire après la campagne de mesures par satellite réalisée par la NASA entre 2003 et 2009 visant à révéler
l’endroit le plus chaud de la planète.
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Station russe de Vostok |
Les satellites ne mesurent pas la température de l’air comme le font les instruments placés à 1,50 m au-dessus du sol dans des abris ventilés et à l’abri du rayonnement direct, mais la température radiométrique de surface (ou la luminance spectrale du sol, un paramètre physique différent), c’est-à-dire le rayonnement émis par la surface du sol. Parce que l’air a une plus faible conductivité thermique que le sol (et quelle que soit la nature de celui-ci d’ailleurs), la température radiométrique de surface en plein hiver est bien inférieure à la température de l’air sus-jacent.
Par conséquent, rappelons que le
record officiel de froid dans le monde est toujours détenu par la station russe de
Vostok (station située à 3488 m d’altitude et à 600 km environ au sud du Dôme Argus) avec une température de
-89,2°C le 21 juillet 1983. Depuis sa construction en 1957, la température est descendue en dessous de -85°C à 15 reprises, soit bien en dessous de la température de sublimation (
i.e. passage de l’état solide à l’état gazeux) du dioxyde de carbone (-78,5°C) !